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Indochine le Livre

Interview de Nicola et Rafaëlle par Valérie Perrin

12.02.2022

J’ai quelques jours pour découvrir cet ouvrage. 40 ans, le destin français d’un groupe à part. 500 pages de textes, témoignages, photos personnelles, inédites, story-boards, lettres, carnets intimes, costumes de scène, dessins, projets. Ça devait être une exposition ou un film, une pandémie plus tard, ce sera un livre. Trois ans de travail pour la jeune Rafaëlle Hirsch-Doran qui se lance dans l’aventure alors qu’elle n’a que 22 ans. Une œuvre d’art maitrisée de bout en bout, toujours juste, jamais mièvre, d’une grande beauté. Où chaque album, chansons sont disséqués amoureusement, collent à la peau de cette histoire qui commence par « l’Aventurier ». Elle a tenté d’expliquer l’inexplicable en laissant le lecteur libre de ses choix. Avec, en fil rouge, tous les faits historiques pour contextualiser l’époque où débarquent les albums et les clips. De Xavier Dolan à Camille Laurens en passant par Serge Gainsbourg, ils sont nombreux à avoir croisé leur chemin. Et tous témoignent. Parents, musiciens, chanteurs, cinéastes, comédiens, scénographes, graphistes, paroliers. S’il ne devait y avoir qu’une bible concernant Indochine, ce serait celle-là. D’Indochine, à mon grand regret, beaucoup ne retienne qu’un vague « et on se prend la main » qui passait en boucle dans les night-club en 1986. Pourtant, ils n’ont jamais cessé de chercher, écrire, créer. Le gardien de l’âme Indochine, Nicola Sirkis, obsédé par Marguerite Duras, Patti Smith et David Bowie, n’a jamais baissé les bras. Il y a des albums plus confidentiels et néanmoins magnifiques entre « 3e Sexe » et « J’ai demandé à la lune ». Indochine a connu une traversée du désert dont personne ne serait revenu sauf lui, Nicola. Ils étaient deux, ils étaient double, il est désormais seul. Depuis la disparition de son frère jumeau, il dit qu’il ne croit plus en dieu. Nicola est cependant porté par la grâce, entouré de nouveaux membres embarqués en chemin, de nouveaux souffles. Indochine remplit les salles et les stades en France. Après 40 ans de drames et de splendeurs, « Nos Célébrations » est le morceau qui a été le plus diffusé à la radio en 2020. 

Quand je referme la dernière page de ce recueil, je réalise que je ne savais rien sur l’histoire de ce groupe, vraiment rien. Je note pour moi, pour eux, pour vous : je ne veux pas dévoiler les dernières lignes mais j’ai pleuré, beaucoup. Pas de tristesse, on peut aussi pleurer juste parce qu’on est bouleversé, ce n’est pas triste, c’est tout le contraire.

Je retrouve Rafaëlle et Nicola à Versailles. J’ai déjà croisé Nicola, dont une fois pour ses 60 ans au stade de Lille et ce jour-là, j’ai compris le « phénomène ». De lui, on a à peu près tout dit, on croit tout savoir et on n’en saura pas beaucoup plus. Il dit qu’il s’est trop dévoilé, je ne suis pas vraiment d’accord avec ça. De lui, Chris de Christine and the Queens dit :  il y a une dissociation entre ce qu’il voulait raconter et ce que l’on a compris. 

Pas pour son public qui le comprend mieux que personne. Quatre générations. De Rafaëlle, qui fait partie de la troisième, je ne sais rien. Si ce n’est qu’elle écrit admirablement. J’avoue avoir été soufflée par son style, ses mots nus. Une douceur et une beauté évidentes, elle parle peu, toute en retenue. Pourtant ses grands yeux clairs semblent avoir fait plusieurs fois le tour du monde et ne sont pas dupes. Mais d’où vient cette jeune génération inattendue et surdouée ? Ça, Nicola l’a parfaitement compris dès qu’il la rencontre, il dit : ce sera toi qui nous raconteras.

Rencontre à 3. Autour d’un café qui va s’éterniser. C’est que 40 ans ne se résument pas en quelques minutes. `

Nicola revient de Venise où il a passé du temps avec sa grande fille et quand il nous quittera ce sera pour aller chercher son jeune fils à l’école. Le lendemain, il repart à Bruxelles où il prépare un concert surprise et gratuit sur la grande place. On a le sentiment qu’il ne pose jamais le pied par terre, qu’il ne s’ancre pas. Mais qu’est-ce qui fait (encore) courir Nicola ? Indochine. Juste Indochine. Il m’annonce la couleur tout de suite : « Ce sera la seule interview qu’on fera ». 

Je lui montre le livre qu’il découvre, je l’ai reçu la veille pour le respirer. Il sort de l’impression. 

Nicola : Rafaelle m’a envoyé un projet incroyable de film sur le groupe. Et moi, ça faisait longtemps que je pensais à un projet autour d’Indochine pour les 40 ans. Et quand j’ai appris que Rafaëlle nous avait découvert en 2007 quand elle avait 11 ans, carrément plus de 25 ans après la création du groupe, je me suis dit : c’est elle qu’il nous faut. Parce que je me suis toujours dit qu’il y avait un malentendu avec la presse et les médias français nous concernant. Pour beaucoup, c’est toujours : « Indochine c’est le groupe des années 80 ». Et ils ne sont pas venus aux concerts, ils n’ont jamais vu les générations suivantes, qu’elles soient de 90, 2000, c’est un groupe de musique moderne, de rock moderne, et je trouvais que tout le travail qui avait été fait depuis 2000 – on n’avait jamais fait autant de concerts énormes, de ventes de disques etc. – Souvent c’est simplement résumé par « J’ai demandé à la lune » ou « Canary Bay »… alors on s’est dit, pour les 40 ans, on va mettre un peu les choses au clair, dans l’idée, j’étais allé voir une exposition des Stones il y a cinq ans à Londres, et je trouvais que c’était bien résumé, je ne pensais pas avoir gardé autant de choses, chez moi. Donc je rencontre Rafaëlle, elle est journaliste et je me dis : qui peut expliquer l’inexplicable dont la durée de ce groupe, l’irrationalité de ce métier, du business à part une personne qui nous connait parfaitement ? Il y a au moins une dizaine de livres sur Indochine qui sont sortis depuis deux ans, et on ne nous a jamais rien demandé. Ils reprennent des interviews et brodent autour. Bref, au début c’est plutôt l’idée de faire un film ou une exposition autour du groupe. Alors je missionne Rafaëlle, je lui donne les clés de ma maison. 

Valérie : Oui, c’est fou cette confiance. De donner les clés de sa maison à une presque inconnue. 

Rafaëlle : Et moi je passe six mois dans cette maison, au milieu de cartons, de costumes de scène, dans des tiroirs, des armoires, dans des carnets, des notes… Dans tout ce qui permet de ranger quelque chose. Une expérience complètement dingue. C’est comme un bateau naufragé cette maison parisienne que Nicola a quittée en 2005, il avait tout laissé, c’était là où il habitait, et il ne pensait pas avoir gardé autant de choses. 

V : Cela représente combien de temps de travail ?

R : Trois ans. Nicola, j’ai passé plus de temps avec toi ces dernières années qu’avec ma famille. 

V : Où vous retrouviez-vous pour écrire ?

R : Partout, dans la maison, chez moi, chez Nicola, par zoom, au téléphone. 

N : Ce qui était important pour moi, ce n’était pas de faire un livre sur moi, mais sur l’histoire du groupe, donc d’interviewer tout le monde.  

V : Oui, le nombre de témoignages est impressionnant. Et chaque chapitre rappelle, en quelques mots, et c’est ce qui fait notamment la richesse de cet ouvrage, les grands évènements, évolutions, régressions, contextes politiques, historiques de la France et du monde de ces 40 dernières années. 

N : J’ai pensé au projet des 40 ans, d’où le nom « Nos Célébrations » et effectivement, nous avons commencé en mai 81, c’est une date symbolique pour la France. 

V : Le premier concert d’Indochine au Rose Bonbon va avoir 40 ans cette semaine. 

N : Oui c’est une semaine chargée. Là on va faire un concert surprise sur la grande place de Bruxelles, samedi soir, ce sera annoncé mardi. Et on enregistre jeudi un concert d’une heure et demi avec un quatuor à cordes qu’on diffuse sur YouTube. Donc nous sommes dans la semaine des célébrations, et le livre sort aussi. 

V : La conception du livre est géniale. C’est comme un album de famille, un collage. Ce n’est pas rien d’ouvrir ses carnets, c’est comme dévoiler ses journaux intimes. 

N : Oui, ça m’a un peu gêné de dévoiler autant de choses. C’est aussi dévoiler le secret des chansons. Mais Rafaëlle, c’est comme Olivier (Olivier Gérard – guitariste et compositeur), qui au début était un fan du groupe, j’ignore comment mais je sens les gens, j’ai senti que je pouvais absolument lui faire confiance. J’avais lu aussi des nouvelles qu’elle avait écrite. Rafaëlle est quelqu’un qui est douée. Sa méthodologie m’a impressionnée, sa plume aussi. 

V : Rafaëlle, vous dites que vous vous êtes engueulés en écrivant, pourquoi ?

R : Nicola m’a permis de l’engueuler. Ça veut dire que Nicola m’a permis qu’on s’engueule en fait, j’aurais pu rester dans une position de fan. On n’était pas d’accord sur les maquettes ou le choix sur la couverture. On a aussi piqué de sacrés fou-rires et pleuré, parfois. 

V : Qui a choisi la photo de la couverture ? 

R : C’est moi.

N : Je ne voulais pas être en couverture.

V : Cette couverture, quand j’ai commencé à la voir passer sur les réseaux, 

 j’ai cru que c’était un portrait de Stéphane. 

N : Stéphane a disparu plus jeune que moi, il y a le rapport jumeau, mais non, c’est bien moi, et ça aurait été dur de mettre Stéphane. 

R : J’ai choisi de mettre Nicola, seul, parce que mettre le premier groupe n’aurait eu aucun sens. 

V : Surtout que c’est un livre sur le présent. 

N : C’est exactement ça, c’est un livre sur le présent. 

V : Moi c’est un livre que j’aimerais que tout le monde puisse lire, parce que c’est une leçon de vie absolue. Je l’ai lu comme une tragédie grecque et une série à laquelle j’étais accro.

N : C’est un état du lieu, ce livre. C’est un état du lieu actuel. 

V :  Rafaëlle, tu découvres Indochine à l’âge de 11 ans, c’est ça ?

R : Oui, je suis chez mon père, je vois une publicité sur le concert d’Hanoi pour les 25 ans du groupe. C’est mon album préféré de toute la musique qui a été faite sur terre. Peut-être à égalité avec l’album blanc des Beatles.

N : Quel honneur.

V : C’est un regard d’une précision absolue sur une histoire qui a commencé il y a 40 ans. Rafaëlle, tu écris : « c’est une expérience à part d’apprendre à séparer l’homme du poster ». 

R : c’est vrai. Il fallait le faire. Sinon on ne s’en serait pas sorti. Il fallait pouvoir travailler ensemble. Nous n’avons pas eu une demi seconde d’hésitation sur la stature qu’on allait avoir tous les deux. J’ai eu une liberté totale sur ce livre. Aucune direction particulière, aucune interdiction. 

V : C’est quelque chose qu’on ressent tout au long du livre, tous disent : à partir du moment où on a été choisis, on a eu une liberté totale de création. 

N : oui, on a l’impression que je suis « le grand dictateur ». Mais Indochine est une sorte de création familiale où je pense qu’on apprend tous les jours de quelqu’un d’autre. 

V : Ce que questionne surtout ce livre, c’est comment Nicola a survécu ? Je me suis dit : mais qui est cet homme ? Comment il n’est pas tombé dans tous les travers ? Rafaëlle, tu écris : Indochine m’a sauvé la vie, parce que j’y ai puisé au-delà de la musique, une vulnérabilité, une marge d’erreur. 

R : C’est la liberté d’être exactement soi, d’écrire ce qu’on veut et il n’y a aucune injonction à la perfection. Je pensais surtout à la manière d’écrire les textes, Nicola ne s’embarrasse pas de règles. Et cette marge d’erreur devient poétique. 

N : C’est mon côté autodidacte, le fait de ne pas savoir la musique. Qu’est-ce qu’on a pu me reprocher le non-sens, la licence poétique, qui est le mot diplomatique pour dire qu’on ne comprend pas mes paroles. Mes références, c’était ça. Moi j’entends les notes quand j’entends un poème de Rimbaud ou que je lis une page de Marguerite Duras, faire des puzzles comme des cadavres exquis comme la musique et les mots, c’est ce qu’il y a de plus créatif. Ne pas s’encombrer des règles, la norme, de ne pas avoir fait d’école, aussi. 

R : C’est aussi une question de mémoire, Nicola se souvient de tout. Quand je lui montre une vieille photo, il sait exactement l’endroit, où, quand, comment. Il se souvient de tous les visages qu’il a croisés ces 40 dernières années.

V : Indochine c’est 4 générations à présent. On le voit très bien aux concerts. Pour revenir à l’enfance, sans rien dévoiler, Stéphane et toi, vous écrivez des lettres déchirantes à vos parents. 

N : On était très très malheureux, c’est la pire des expériences. Le dimanche, à partir de 17 heures, l’angoisse montait, de savoir qu’on allait être séparés de ma mère parce qu’on la sentait malheureuse. La séparation. On avait l’impression de retourner en prison. La pension c’était notre prison. Les dortoirs de 120, les prêtres et encore on n’a pas tout dit sur ce qui s’est passé. Et en relisant ces lettres, je me suis aperçu que j’étais tout le temps malade. Que j’avais toujours mal au ventre. 

R : Oui et des années après, tu as écrit une lettre quand Stéphane est décédé, dans laquelle tu dis, j’ai toujours mal au ventre. 

N : Je comprends pourquoi Curt Cobain dit qu’il avait toujours mal au ventre. Nous sommes des éponges à sensations, nous absorbons tout, le cerveau est là, il résiste, tient le coup mais pas le ventre. (Nicola s’adresse à Rafaëlle) C’est ma mère qui t’a donné les lettres ?

R : oui, Michèle les a toutes gardées. Et elle en parle encore avec beaucoup d’émotion. 

N : Oui, je revois très bien cette pension et je me disais, un jour je reviendrai faire un concert, faire de la musique. Dans cette pension on avait fabriqué un petit poste à galène avec une résistance électrique et on captait France Inter.  La nuit on écoutait le pop club de José Artur et on était en plein dans la période post 68, révolution et je me disais : je vais revenir pour me venger, je détestais tous ces gens-là.

V : Plus tard, pendant les années lycée, Stéphane reste à Châtenay-Malabry et toi, tu pars à Paris

N : Oui j’étais parti pour une carrière de comptable. (rires) Ma mère m’a quand même sauvé de là, m’a payé un lycée privé à Paris pour que je continue mes études mais ça a été un désastre. Après, Stéphane est entré à la ligue communiste, chez les Trotskistes et moi à Amnesty International. Stéphane avait ce besoin, à cette époque, le militantisme d’extrême gauche, moi j’ai tout de suite remarqué qu’ils avaient besoin d’un père, d’un leader, Stéphane a toujours eu besoin d’un socle. Pour moi c’était fini, j’avais déjà réglé le problème. Lui, non. Il avait besoin d’avoir une lutte, c’est très psychanalytique, les militants donnent leur cœur et leur corps. Et moi, j’ai choisi Amnesty International qui luttait contre la peine de mort. La justice qui assassine ne s’appelle pas la justice. Qu’elle condamne, oui, mais pas qu’elle tue. 

V : À l’époque, tu quittes Amnesty. Pour retrouver l’ONG des années plus tard. 

N : Oui, Amnesty c’est pour défendre des prisonniers d’opinion, et des homosexuels étaient emprisonnés. Et ils n’ont pas voulu, pour l’image d’Amnesty, défendre les homosexuels, on était en 77. Alors je suis parti. Maintenant Amnesty est redevenu une organisation qui défend tout le monde. Mais à l’époque, ce n’était pas neutre alors je suis parti. Et quand je vois aujourd’hui Bono du groupe U2 qui travaille pour Amnesty, quand je vois tous les groupes comme nous, qui ont œuvré pour ça, tout à coup on est dans la même lignée, c’est-à-dire qu’on avait besoin d’une révolte, qui était le punk, qui nous a permis de prendre notre courage à deux mains : on ne sait pas jouer de musique mais on va en faire et on emmerde l’ancien monde et on va créer notre nouveau monde. Tous ces groupes qui sont nés comme U2, Cure, Dépêche Mode, c’est la même génération. Et autant touchés par Greenpeace qu’Amnesty International.

V : Je crois savoir que tu es très engagé dans la défense de la planète.

N : Nous on soutient beaucoup de choses. Greenpeace, WWF. J’ai signé une pétition pour L214, aussi. Et je m’implique de plus en plus contre le harcèlement scolaire. Oui le groupe est impliqués, parce que je n’ai pas le droit d’écrire des chansons qui prennent exemple sur des faits qui nous ont marqués et ne pas agir. Si on peut aider, à notre échelle. Le problème du monde c’est le mensonge. Tout le monde ment, c’est terrible. C’est le grand problème philosophique des siècles. 

V : On revient sur l’Aventurier. Tu dis, « le succès me terrifie, je comprends immédiatement qu’il va falloir être à la hauteur ». 

N : Oui, moi je suis le seul à faire la gueule, comme toujours. (rires) Merde on est numéro un, on risque d’être le groupe d’un seul single… maintenant il faut être à la hauteur, il ne faut pas se contenter de ça. Être numéro un, ce n’est pas ce qui m’a le plus réjouit, parce qu’on peut être prisonnier d’un titre. Il y a tellement d’artistes qui n’ont eu qu’un seul single, au bout de 54, ça va un peu mieux.  

V : il y a aussi quelque chose qui me tient à cœur dans tout ce que tu dis dans ce livre, c’est la drogue. C’est parce que tu n’y as pas touché que tu es encore parmi nous. 

N : Ça ne m’a pas intéressé. J’ai tout de suite compris qu’il y avait une diminution des capacités physiques et mentales. Pas sur le côté de l’addiction mais en fait que c’était du fake. Le fait de pouvoir mieux écrire dans un état second, j’ai toujours trouvé ça ridicule. On les a très vite vu arriver les marchands de mort qui s’enrichissent sur la vie des plus fragiles. Et puis je n’aime pas être saoul, je n’aime pas l’effet de la drogue. Je ne veux jeter la pierre à personne, mais la cocaïne ou l’héroïne ça rend sûr de soi que quand on en prend. Et si on en prend tout le temps, on meurt. Moi je fuis tous ces gens-là. Et en plus, j’ai été touché au premier degré. 

V : Depuis la création du groupe, c’est une obsession pour vous le faible prix des places de concert – alors qu’aujourd’hui, les concerts d’Indochine sont spectaculaires. Les places pourraient être vendues une fortune. 

N : C’est une obsession parce que c’est un cadeau d’avoir des gens qui apprécient ce qu’on fait alors qu’on nous a toujours détestés quand on était petits, il y a un public qui aime ce qu’on fait, il n’y a aucune raison de s’enrichir sur lui. Au début, l’objectif du groupe, c’était de faire revenir, comme en Angleterre, les teenagers dans les concerts de rock – dans les concerts de rock, dans les années 70 et jusqu’au début des années 80, le public avait entre 25 et 35 ans, les seuls qui pouvaient sortir. Vraiment. Et le punk a un peu changé ça. En France, les concerts étaient programmés tard. Ils étaient chers et tardifs. On a décidé de faire des concerts tôt, comme en Angleterre, et à 5 francs, un truc comme ça. En France, le rock est venu petit à petit. Il y a Téléphone qui est arrivé mais c’était très ghettoïsé. Oui, ça a toujours été une préoccupation de ne jamais s’enrichir sur le dos des gens. Maintenant est-ce que c’est une vertu ? Je n’en sais rien mais j’ai remarqué que pas mal de mes collègues n’avaient pas cette vertu-là. C’est un peu dommage. 

V : À propos des fans, tu dis : « ils sont un peu plus amoureux que les autres. Ils ont cette capacité à aimer plus que les autres, c’est pour cette raison qu’ils sont parfois moqués, la dévotion dont peu sont capables ». 

R : Cette phrase-là, c’est moi l’ai écrite. 

N : Oui c’est ça, je suis tellement dans la pudeur là-dessus. 

R : Ça faisait déjà un ou deux mois qu’on travaillait ensemble, nous étions dans la maison du 13ème et à un moment, tu m’as dit, « mais au fait, pourquoi tu aimes Indochine » ? Et c’est vrai qu’on n’avait pas eu cette conversation. Jamais. J’ai été prise au dépourvu. Je n’ai pas su répondre sur le moment. Et du coup, je t’ai écrit une lettre. 

N : Oui, je l’ai toujours. Tu m’as expliqué pourquoi, comment, tu m’as expliqué le livre en fait, parce que moi ça m’interroge quand même. Je ne suis tellement pas sûr de moi que j’ai du mal à comprendre le fond du truc. 

R : Le fond du truc… il est différent pour tout le monde. 

V : Et puis le fond du truc, il évolue. On n’écrit pas les mêmes choses qu’au début. « L’aventurier » ne raconte pas la même chose que « Nos célébrations », forcément. Et c’est ça aussi qui fait qu’on continue à suivre un groupe, un chanteur ou une chanteuse parce qu’on « vieillit, grandit » ensemble. Ce qui est très particulier chez Indochine, c’est que ça touche toutes les générations dont les très très jeunes. Et les premières générations comme la mienne. 

R : Moi je pense que si j’avais commencé par « l’Aventurier », par exemple, l’album Péril Jeune, je n’aurais pas été touchée par Indochine. 

N : Oui, toi tu as découvert le groupe par Hanoi. 

V : Tu sais, l’Aventurier, je me souviens très bien, c’est un de mes meilleurs amis, qui est venu à la maison avec le 45 tours, il m’a dit : écoute ça c’est dingue. Il faut comprendre qu’à l’époque, ça représentait quelque chose de tellement nouveau, c’était une révolution. 

R : Moi je ne peux pas m’en rendre compte. Mon père me parlait surtout de « Dizzidence politik ». C’est surtout là qu’il s’est dit, c’est un son nouveau. Personne n’avait jamais fait ça en France. 

N : Oui « Dizzidence Politik » et « l’Aventurier » après, mais « Dizzidence » avait marqué les esprits, au début, c’est une chanson balancée comme ça, c’était une énergie punk incroyable avec un texte assez violent, « hôpital psychiatrique, staniliste politik », alors qu’au départ le leitmotiv du groupe c’était de faire danser des gens sur des paroles un peu moins connes et « l’Aventurier » c’était ça aussi, c’était la suite logique, se moquer du mythe du héros, mais c’est surtout le beat, la musique, aussi. L’énergie de la musique des deux premiers albums. Moi, très honnêtement, je ne suis pas très fier de ce que j’ai fait, je suis content d’avoir des standards bien sûr, mais moi je suis satisfait, un petit peu, à partir du « Baiser » (quatrième album). Je trouve que c’est honnête, c’est mieux. 

V : Quand même, il y a « 3 ». Le troisième album mythique.

N : « 3, » effectivement, « 3 » c’est neuf morceaux, un album qui a été fait dans la douleur. 

V : Oui dans la douleur, je l’ai découvert dans le livre. Tu étais très malheureux à ce moment de ta vie. 

N : Oui, je voyais une partie du groupe se désagréger, une autre partie être vraiment malveillante, et moi au milieu de tout ça, on avait fondé quelque chose et effectivement, « À l’Assaut », « 3e sexe », « Trois nuits par semaine », toutes mes références. 

V : Nicola, tu dis, comment dire aux autres qu’on est malheureux quand on a tout ce qu’on a toujours désiré. 

N : On ne peut rien dire et on a pas le droit de le dire, c’est surtout ça. 

V : Et « 3e sexe » sort en 1986, c’est aussi un morceau précurseur. 

N : Et c’était la face B ! C’est génial. Comme tous les gros succès du groupe. En dehors des 20 dernières années, « l’Aventurier » c’est une face B, « Trois nuits par semaine » aussi.

V : J’ignorais que c’est Serge Gainsbourg qui a réalisé le clip de « Tes yeux noirs ». 

N : Oui, oui. On était super contents de l’avoir rencontré. On lui a laissé carte blanche mais ce n’est pas du tout la chanson que j’avais imaginée. Nous, Serge Gainsbourg, on l’avait choisi pour « Je t’aime moi non plus ». Le film avec Jane Birkin avec ses cheveux courts, le côté androgyne, Joe Dallessandro, le côté féminin, je voulais cette collision-là des corps. Et Serge nous a mis des petits collégiens en robe… (rires) On est con d’avoir accepté. Mais il faut accepter ses erreurs. Deux ans après je l’ai revu, il m’a dit : je me suis planté avec vous. Nous, quand on voit notre parcours, Gainsbourg qui a réalisé un clip pour nous, Xavier Dolan, Jaco Van Dormael. C’est assez fort de voir des écrivains comme toi qui apprécies ce qu’on fait. Quand on a commencé Paradize (neuvième album), moi je pensais que tous les gens qui faisaient un peu ce monde-là, nous ignoraient.

V : Dimitri Bodianski (saxophoniste- ex-membre Indochine) a dit, la musique se construit comme ça, celle que tu écris et celle que tu écoutes sont deux choses différentes.  

N : l’implication mentale de mes chansons est totale, c’est-à-dire que je ne peux pas faire quelque chose que je n’aime pas ou que je dois faire par obligation, c’est vraiment ce que je ressens, chaque mot est pesé, apprécié, et jamais posé là pas par hasard, parfois c’est aussi inconscient. Par exemple, « 3e sexe », quand je suis arrivé avec le texte dans l’enregistrement, certains ont fait la gueule : « Mais tu te rends compte de ce que tu dis ? Là, tu assumes ton homosexualité. » Il y a eu un débat là-dessus. Je ne me rends pas toujours compte de l’effet que peut faire mes chansons et surtout « 3e sexe ».

R : J’ai demandé à Dimitri, pourquoi vous ne faisiez pas de la musique sombre à cette époque-là et il m’a répondu : parce que c’était déjà pris… 

N : Oui, on était dans une énergie tellement positive, c’était issu du rock mais ça, c’était les trois premières années. Après, on est rentré dans le monde adulte et on a vu ce que c’était. 

R : Ça a commencé avec « 7000 danses » mais jusqu’à « 3 » vous faites quand même de la musique pop song. 

N : Je ne savais pas que « Trois nuit par semaine » avait touché tellement de monde. C’est effectivement sur la perte de virginité. Et puis « l’Amant » de Marguerite Duras. Je trouve qu’on n’a pas écrit plus beau sur l’érotisme d’une relation entre une fille et un garçon, ça m’a tellement marqué. Oui… Beaucoup de sexe, on était jeunes quoi. (rires)

R : Tu sais, ça n’a pas changé, hein. Il y a toujours beaucoup de sexe dans tes paroles, si je peux me permettre… J’ai lu tes carnets. 

V : Nicola, je l’ai noté, je l’ai même souligné, tu dis « ma réputation est complètement injuste, mon exigence passe pour de l’emmerdement ». 

N : Oui la réputation d’être un dictateur en France. Alors que dans un monde anglo-saxon, les gens te diraient : « ah, il sait ce qu’il veut ». 

V : Tu dis même : en France, on n’aime pas les patrons. 

N : Oui, parce qu’on me traite de patron. Mais il faut arrêter, ce n’est pas parce que j’ai décidé de protéger le pouvoir du groupe, de garder son indépendance, qu’il faut m’appeler « patron ». On a créé une société pour notre indépendance. On a fondé notre label. On ne subit pas la pression d’un trust ou autre chose. Donc c’est super injuste que les gens qu’on emploie m’appellent parfois comme ça. Nous sommes dans un pays en insurrection permanente, à tort ou à raison, et le fait d’être libre finit par se retourner contre soi. Je protège juste les personnes avec lesquelles on travaille. Les maisons de disque de l’époque c’était : « l’Aventurier » ça ne marchera jamais, « 3e sexe », ça ne marchera jamais, c’est une chanson de pédé. Indochine ? Avec un nom pareil, ça ne marchera jamais. Dans les années 80, aucun type installé dans une maison de disques, qui était payé des fortunes sur le dos des autres, n’avait trouvé « le truc ». Je retrouvais exactement ce qui se passait à l’école quand je faisais une dissertation et que ma prof de français disait que c’était nul et que ça ne marcherait jamais. 

On découvre dans ce livre ce qui vous ait arrivé au Pérou où le groupe était un véritable phénomène.  

N : Le Pérou ça a été le passage où le groupe a changé. C’est-à-dire que là, on s‘est rendu compte qu’on n’avait pas envie de vivre ça, et ça a été un traumatisme pour tout le monde. En fait, c’était juste un problème commercial, on est dans un pays complètement corrompu, un type qui n’avait pas eu la production du spectacle a porté plainte contre Indochine mais Indochine c’était les organisateurs français, et nous on était les otages. Nous nous sommes retrouvés avec les passeports confisqués, à devoir témoigner. Le producteur français avait été d’une maladresse incroyable et nous avait bien mis dans la merde. On a quand même réussi à partir mais en donnant 2000 dollars chacun et effectivement, le juge nous recevait avec un révolver sur son bureau. À l’époque au Pérou, Indochine, c’était un peu comme si Michael Jackson avait débarqué en France, à l’aéroport, 5000 personnes nous attendaient, on était un phénomène inimaginable, donc coincés dans nos hôtels, 

V : Avec une foule qui hurlait 24 heures sur 24 au pied de votre hôtel. 

N : Oui, et à chaque fois qu’on sortait de l’hôtel pour faire un concert, il y avait des autopompes qui nous extirpaient de là. Pourtant, c’est un peuple qui est extraordinaire. Là-bas, on ne peut pas dire que la drogue soit très chère, donc, il y a eu des abus. Ça a aussi précipité un peu le côté « hystérie vulgaire ». 

V : Rafaëlle, dans le livre, un des chapitres porte ce nom : Chute et Abandon. Ces mots sont terribles et forts à la fois. 

R : C’est sans doute mon chapitre préféré. Dans ce chapitre-là, on débarque dans la réalité. On sort des paillettes et c’est justement ce truc, quand on est malheureux, on ne peut pas le dire, là on est dans : qu’est-ce que c’est la célébrité ? Qu’est-ce qui se passe après ? Que reste-t-il du succès ? C’est un chapitre que j’ai adoré écrire.  

V : Là, c’est dans la descente aux enfers. Sur le « Baiser » Rafaëlle écrit : Déshabillé sans être désinhibé, voilà Indochine prêt à poser les lèvres nues sur un album à l’odeur de peau. 

R : Oui, c’est ça parce que tout à coup, il n’y a plus de boite à rythme, le groupe se dépouille de ses artifices. 

N : C’est un de mes albums préférés « Le Baiser ». La chanson « Le Baiser », « Punishment Park », « More… », à ce moment-là, je commence à être content de ce que je fais. On ne savait pas où on allait. Et effectivement, déjà, tout le monde nous avait cartonnés, disant : c’est fini Indochine, c’est terminé, au-revoir. Même notre propre maison de disques qui avait largement vécu sur nous, nous dénigrait. Mais ça, c’est le côté : faut pas être dupes. Mais c’est aussi ce qui nous a rendus plus forts. 

V : J’ai trouvé que c’était terrible les gens qui vous tournent physiquement le dos quand vous arrivez quelque part. Et ceux qui enlèvent Indochine sur leur CV.

N : Ça, c’est terrible, ces gens qui ont profité et qui nous effacent comme ça, d’un trait. Et je pense que Stéphane l’a très très mal vécu, beaucoup plus mal que moi. Moi je le prenais comme ça, en pleine poire, mais je me suis dit, ok, bon ben c’est une mauvaise personne. Ce n’est pas une belle personne comme on dit aujourd’hui (rires). Est-ce que ça m’a donné ce côté de revanche ? Non, parce que après ça, on a quand même continué à avancer seuls et autrement. 

V : Noir c’est noir, là on peut le dire. 

N : Oui, assez glauque. 

V : Rafaëlle, tu écris : Nicola investit tout son temps et toute son énergie dans les espaces qu’il se crée. Disons-le clairement, c’est pour ne pas crever. 

R : Oui, d’ailleurs Nicola me l’a clairement dit : si j’arrête, je meurs. Sujet, verbe, complément. 

V : Continuer à se nourrir de tout ce qui l’entoure. C’est la force de Nicola. 

N : Oui, je reviens de Venise où j’étais à la biennale de l’architecture, j’essaye de me nourrir de tout ce que je vois. Et là, c’était à l’époque où je n’avais pas mes enfants. Maintenant j’ai mes enfants, c’est encore autre chose. 

V : L’époque dont je parle, le « Birthday Tour » pour fêter les 10 ans du groupe, marche encore très bien. Parce que le public est encore là, le public a toujours été là. 

N : Oui, ça fait partie des éléments qui m’ont donné la foi de continuer. Encore une fois, j’ai entendu : « mais il ne faut jamais dire que vous avez 10 ans, c’est horrible, vous allez vous brûler »… On fête nos 40 ans cette année. Bref, on fait le « Birthday album » et là, pour une fois, on s’entend bien, la tournée s’est bien passée. On est allé au Québec, on a fait des Olympia, nous étions dans la pure nostalgie. Beaucoup de gens ont encore cet album. Donc, à chaque fois, il se passe quelque chose. Il y a toujours une sorte de miracle avec Indochine. 

V : Oui c’est vrai, il y a toujours du miracle autour de vous. Nicola, je ne savais pas que Cyril Collard t’avait proposé son rôle dans les nuits fauves. 

N : Alors oui, moi non plus. (rires) Il avait pensé à moi ou à Bertrand Cantat. Je me pointe dans son bureau, il me donne le scénario, je le trouve extraordinaire mais je me suis dit : pour jouer ce rôle…euh comment faire, comment lui dire :   moi je ne suis pas comédien. 

Le scénario de Cyril était magnifique comme celui de « Mommy » de Xavier Dolan qu’il m’avait fait lire avant de le tourner. Magnifique. Ce sont mes rendez-vous manqués avec le cinéma mais pas avec les réalisateurs. 

V : Après 13 ans, Dominique Nicolas (co-fondateur historique d’Indochine) quitte le groupe. Là c’est la fin du monde. 

N : Là c’est le summum. Enfin c’est la fin d’un monde… pas du mien, mais la fin du monde pour tout le monde, oui. La séparation dont je parle dans le livre, le soir du dernier concert, le matelas bâche parterre, derrière la scène, sous la pluie, chacun récupère son matériel, moi je ne savais pas jouer, je n’avais aucun instrument, ça, c’est d’une violence inouïe. Moi j’avais la rage en moi. Ce qui m’a fait le plus mal, c’est qu’il a dit qu’il avait eu honte de jouer dans ce groupe. Aujourd’hui je me suis battu pour qu’il n’ait plus honte de l’avoir fait et effectivement, je pense qu’il n’a pas honte. Mais c’est une expérience qui nous arrive à tous… je regarde beaucoup de documentaires en ce moment sur Arte, que ce soit Eagles, les Stones, les Beatles ou d’autres, on a tous eu le même parcours, à un moment donné, un groupe ça explose, par des égos, par des problèmes familiaux, par des entourages extrêmement nocifs, et on a tous la même histoire. Des revendications, pas de revendications, il y a quelques groupes intelligents qui arrivent à durer avec des écueils forts comme U2 parce qu’il y a le leader, mais parfois, les autres en ont marre, il y a Dépêche Mode mais, il y a aussi un leader, on a eu exactement le même parcours que les autres. Mais pour moi, ce n’était pas fini, j’ai toujours dit à Dominique : tu sais, tes chansons elles sont intemporelles, Indochine ça ne terminera jamais. Et c’est pour ça que j’ai continué. Il était hors de question que quelqu’un me dise : tu vas arrêter. On n’a pas à gérer ma carrière, enfin pas ma carrière parce que je n’aime pas ce mot-là : plutôt ma vie. Après, c’est quelque chose que je ne regrette pas. Mais tous les jours, j’ai souvent envie d’arrêter .Tous les jours il y a des écueils. 

Nicola se tourne vers Rafaëlle : Ça va, tu confirmes ?  

R : Que tu as envie de quitter le groupe de temps en temps ? 

N : Non, non, ce que je dis là. Parce que je ne sais plus. 

R : Oui. C’est ton ressenti. 

N : Je suis assez impressionné de raconter tout ça. 

V : En 1995, vous vous retrouvez tous les deux, Stéphane et toi. 

N : On se retrouve tous les deux. Et alors là on nous traite comme des… on est un groupe d’amateurs avec 15 années de professionnalisme derrière. 

V : Mais portés par le public.

N : Et Wax sort, un de mes albums préférés, aussi. Sur la pochette, on voit un jeune garçon épiler les jambes de sa copine et tout de suite, on rentre dans le vif du sujet. Cette génération-là, je la voyais à mes concerts, c’est-à-dire qu’on commençait à voir de très très jeunes gens qui aimaient le rock, la pop rock anglaise, qui avait commencé à arriver, et c’est ça que je voulais montrer, on était un groupe de débutants pour un jeune public qui ne savait pas qu’on avait écrit « l’Aventurier ». C’est complètement fou. Et Rafaëlle, dix ans plus tard. À chaque décennie, on a eu un renouvellement de génération. Je ne sais pas l’expliquer. Mais ça aussi, c’est le côté magique. 

V : Je fais un aparté sur l’écriture. Rafaëlle, tu écris : Indochine a toujours été comme ça, la violence en sous texte, déguisé en sentiments. Et Nicola dit : il n’y a rien à comprendre dans mes textes, je ne demande pas à être compris. Pourtant, votre public semble ressentir vos chansons. 

R : Nicola dit qu’il n’y a rien à comprendre mais ce n’est pas vrai du tout. 

N : Ok ce n’est pas vrai. C’est un peu pour me cacher. 

R : C’est sa pudeur de dire qu’il écrit de grandes chansons mais ses chansons ne sont pas à comprendre, elles sont à voir, à ressentir. 

V : À respirer, aussi. 

R : Pour moi chaque album a une odeur. Je trouve que Wax, sent le joint… Je suis désolée. Il sent la weed. 

N : Ah bon !?

R : Oui, quand tu fumes en cachette, ado… Paradize, il sent le sang, le souffre, le fer. Dancetaria, l’eau.

N : Et Alice and June, il sent quoi ? 

R : Alice et June, il sent le premier parfum que tu achètes en grande surface. 

N : Ah oui, le parfum des jeunes filles, pour moi il sent le patchouli, le vieux parfum, celui d’Alice aux Pays des Merveilles.  

V : Nous sommes en 1999, arrive l’album Dancetaria, Rafaëlle tu dis : Indochine se saisit de la sexualité en pleine conscience, non plus dans la découverte aveugle et empressée, mais dans l’échange de la maitrise du corps. 

R : Dancetaria est très maitrisé, il n’y a plus de tâtonnement. Ce n’est plus l’adolescente qui découvre le sexe. C’est en pleine conscience, on sait ce qu’on fait, on sait ce qu’on veut. 

N : Dancetaria, c’est l’album inachevé pour Stéphane. Mais il a écrit ses plus belles chansons. « Atomic Sky », « She Night ». C’est magnifique. Magnifique. Alors là, je ne sais pas quoi trop te dire là-dessus, il disparait au bout de dix jours de studio, moi je faisais des allers-retours entre Bruxelles et Paris à l’hôpital, après, j’arrête tout, je dis : ça ne vaut plus la peine de continuer. Pendant quelques mois. La maison de disques qui venait de nous signer commence à se demander ce qui se passe. Je suis parti à Belle Île en mer, j’avais besoin d’espace, à l’époque ma compagne Gwen, la mère de ma fille, a été d’un grand soutien. Après, j’écoute les maquettes qu’on a faites, je ne savais pas du tout si on allait continuer, mais je pense : c’est le plus bel hommage qu’il peut y avoir. Je ne savais pas encore si j’allais continuer la musique. Tout le monde me sollicitait. Et tout à coup, je ressens une empathie du métier sur le fait de décider de continuer. On retourne en studio, je termine seul avec les musiciens, avec Olivier qui vient aussi d’arriver. Olivier, au début, on lui avait donné l’arrangement d’un morceau et il les a tous arrangés. Je ne sais pas si Olivier t’en a parlé mais ça a dû être compliqué pour lui. Et cet album est sorti. La référence à Dancetaria, je l’adorais, c’était un club de rock, dans les années 70, début des années 80 à New York, assez batcave, assez dans la luxure, mais ça résumait bien cet album. À la fois une envie d’échappée, et le côté sombre. « Juste toi et moi », et « Justine » qui est la chanson préférée de Rafaëlle. Tous les textes avaient été écrits avant la disparition de Stéphane. Et ça, c’est vraiment intéressant à noter, je le sentais peut-être inconsciemment qu’il allait partir, je le savais plus ou moins mais pas aussi vite. La guitare de Stéphane (Nicola chante les airs de guitare) c’est la sienne. Après, ce qu’il s’est passé après, et bien voilà. Le voit-il, ou ne le voit-il pas ? 

V : Le groupe reçoit une Victoire de la musique en 2003 : meilleur album Pop/Rock pour « Paradize ». Un moment inoubliable. En duplex depuis le zénith de Toulouse.  

R : Quand on me demande de parler d’Indochine, c’est une des choses que je raconte en premier. Incroyable. 

N : On revenait de loin, même « J’ai demandé à la lune » était une face B.  j’avais refondé ce groupe, avec des musiciens qui s’étaient impliqués, Boris, Marco enfin tous ceux qui sont là aujourd’hui, tout à coup, une Victoire alors que tout le monde nous avait oubliés, donc effectivement, la prise de parole a été efficace… On commence « J’ai demandé à la lune » et après, on reprend « Glory Hole » (très très rock) en direct. Personne ne s’attendait à ça, oui je sais que Michel Drucker et Jean-Luc Delarue ont fait une drôle de tête. Moi, ce qui m’a intéressé à ce moment-là, c’est que le public nous avait redonné le pouvoir. Le pouvoir de dire : non. Dans les années 80, on débutait, on a accepté plein de choses, mais on était des petits gamins. Dorénavant, ce serait sans concession aucune : plus jamais de playback et la rareté. Et bien là, c’est le meilleur moment du groupe. Les meilleurs moments, c’est maintenant, entre 2000 et aujourd’hui. Sans jamais trahir le public des années 80, 90, 2000, c’est surtout ça. Je dors sur mes deux oreilles, j’ai une éthique, je me sens clean.

V : Paradize est l’album de la résurrection. 

N : De la renaissance, oui. Sur Paradize, nos compagnes à Olivier et moi, allaient avoir un enfant, moi, j’allais être père à 42 ans. J’ai décidé d’ouvrir la porte à des auteures. Et je ne m’imaginais même pas qu’un écrivain comme Anne Scott ou Camille Laurens puisse nous connaitre et nous aimer. Et je leur ai écrit une lettre pour leur demander de collaborer avec nous et elles m’ont répondu, mais bien sûr. Et pour cet album, tout se passe comme ça et c’est extraordinaire. Mickey 3D, Mickaël Furnon, écrit « J’ai demandé à la lune ». Chanson que personne ne voulait dans le groupe, mais j’insiste : « il se passe quelque chose ». Pauline Léonet (la voix de la petite fille) qui vient chanter parce qu’elle passe dans le studio par hasard, tout, brique après brique, ça se construit. 

V : Oui, le miracle dont tu parlais tout à l’heure. 

N : C’est miraculeux. Cet album est miraculeux. Et on y parle quand même de religion. La pochette, Melissa Auf qui chante sur « Le grand secret » que j’adorais. 

V : C’est une chanson qui raconte si bien l’amour, et ça ne parle pas qu’aux adolescents, « Le grand secret » s’adresse à nos belles nuits d’amour, enfin, c’est mon interprétation. 

N : On va à New York l’enregistrer, on revient le 10 septembre chez nous, le 10 septembre 2001… le lendemain c’est le cauchemar…. Et l’album sort et la maison de disques dit : on va mettre « Punker » en première single …

V : C’est aussi la naissance de la croix déstructurée. 

N : Oui, je voulais faire une croix comme celle-là, c’est Olivier qui l’a créée. La pochette avec la fille enceinte, légèrement, parce que là, on touche un tabou, sur la sexualité d’une fille enceinte. Nous voulions briser ce tabou. L’affiche n’a pas été dans le métro. C’est comme quand en 86, j’étais dans ma coccinelle, j’écoutais la radio, RTL, et là j’entends Patrick Sabatier qui interroge une gamine de 13 ans : « qu’est-ce que tu veux écouter » ? « Je veux écouter 3e sexe » ! Et là Patrick Sabatier, surpris, « ah bon ? D’accord »! On voulait briser quelque chose. On était dans le retour de la morale, on le sentait arriver. Notre groupe était très sexualisé, c’était le retour de Placebo, du maquillage, de la robe. 

V : Tu dis, je pense comme une fille qui enlève sa robe.

N : C’est une référence à Georges Bataille et je trouvais ça extraordinaire. Ce côté ambigu, ce qu’il va devenir aujourd’hui, le non genre. 

Olivier et moi on devient père, la responsabilité devient belle. Mais ça ne nous a pas empêché de continuer. 

V : Rafaëlle tu écris que Nicola détricote les textes pour y insérer l’âme d’Indochine. Ça signifie qu’il travaille avec beaucoup de co-auteur(e)s dont il ne garde que le parfum, mais qu’il détruit tout. 

N : Ça a été assez violent pour une auteure, d’ailleurs, qui m’avait écrit un texte et elle me mettait des « je t’aime, je t’aime, je t’aime » partout. Et moi je l’appelle, je lui dis que je vais avoir du mal à dire je t’aime. C’est trop variété française. Dans la vie dire « je t’aime » c’est joli. Dans les chansons c’est plus compliqué. Mais c’est vrai que je m’empare des textes pour en faire des cadavres exquis.

V : Nicola, concernant le « Paradize Tour », l’ère de la renaissance, tu dis : 

« Je contrôlais tout : éclairage, vidéos, rien ne pouvait me déstabiliser avec tout ce qui m’était arrivé ».

N : C’est à partir de là que je commence à m’intéresser à la mise en scène, à la conception du spectacle. Franchement, quand on a commencé, je ne savais même pas qu’il y avait des éclairages. Le premier concert, j’avais mis de la tulle de toutes les couleurs pour habiller la scène, après je laissais faire, j’avais trop de trucs à gérer. Mais maintenant, effectivement, c’est comme un opéra ou un film, on fait l’affiche, la musique, la scénographie, et sur Paradize, on travaillait avec Peggy M les images, et puis après, avec Alice et June. 

V : Peggy M est un génie. Graphiste, réalisatrice, photographe, toute l’imagerie d’Indochine, sur une décennie, c’est elle. 

R : C’est la première fois qu’elle acceptait de répondre à une interview.

V : Elle est incroyable. Elle m’a appris beaucoup de choses que je ne savais pas du tout. Elle aussi dit qu’elle a toujours eu carte blanche. 

R : La conception de la robe de Melissa Auf, influencée par la reine Margot de Patrice Chéreau, c’est son idée. Quelle est belle cette robe, c’est ma page préférée du livre.

V : Rafaëlle, tu écris :  un jour, on dit au revoir à quelqu’un en ne sachant pas qu’on ne le reverra jamais, un jour, on embrasse un amoureux en ayant aucune idée que ça n’arrivera plus, un jour, un jour, Indochine est le premier groupe à remplir Bercy.

R : Je venais de me faire larguer le jour où j’ai écrit ça, j’étais très très triste. 

N : Ah bon ? Ah d’accord, ok. 

R : Oui, j’étais très très triste. Et donc j’ai mis beaucoup de sentiments dans ce livre. 

V : Oui, ça se sent. 

R : C’est donc très personnel, je vivais une histoire d’amour en même temps que j’écrivais, et il y a beaucoup de mon histoire d’amour dans ce livre en fait. C’est ce qui est entre moi et moi, mais ça m’a permis d’écouter certaines chansons d’une manière différente, d’écrire sur la rupture d’une manière très actuelle, parce quand j’ai vécu cette rupture, j’en étais au chapitre du « Baiser ». 

V : Nicola, vous dites : je restais longtemps assis dans mon fauteuil, à la fin, dans le cinéma, pour me préparer à retourner dans ma réalité. Les films et la musique me faisaient sortir de la vie ordinaire. 

N : Oui et les livres aussi. Quand j’étais jeune, j’allais très souvent au cinéma tout seul, j’étais plus solitaire que Stéphane d’ailleurs, qui était tout le temps entouré. En effet, c’était terrible, mais ça vient peut-être aussi du souvenir du dimanche 17 heures. On regardait le film du dimanche soir et je savais qu’après, au générique, la chape de plomb allait s’abattre… Et c’est vrai qu’au cinéma on voit un truc merveilleux ou pas, peu importe, et après, on se retrouve dans le métro. Le passage de la porte est extrêmement violent. Comme avec certains livres. Après Belle du Seigneur, j’ai été en deuil. 

R : C’est comme à la fin d’un concert. Moi, quand je sors d’un concert d’Indochine, j’ai un blues de dingue. 

N : Ça, on me l’a écrit. Beaucoup, beaucoup de fois. Le fait qu’on ait pas fait de tournée depuis longtemps. Le fait qu’on manque à des gens. Le fait que certains suivent la tournée, on a toujours 1500 personnes qui suivent tous les concerts. C’est vrai que les gens qui assistent à un concert d’Indochine et ça, Rafaëlle l’a très bien décrit, rentrent dans la salle ou le stade, se mettent en condition… et c’est moi qui prépare le « warm up », toute la bande son avant le concert. 

R : Et à la fin du concert, quand vous disparaissez, c’est horrible. 

N : Moi, cette séparation, je la ressens, parce que nous quand on est en tournée dans une ville, le lendemain, dans une autre, on a parfois envie d’y retourner, de revivre le concert de la veille. Et quand la tournée s’arrête, notre histoire d’amour avec le public, notre relation physique s’arrête du jour au lendemain. Une fin de tournée c’est très très violent aussi pour les musiciens. 

V : C’est drôle, tu lisais « Alice au pays des merveilles » à ta fille. Moi ça m’a toujours terrorisée. 

N : Ah oui ça t’a terrorisée ? Mais le livre il est aussi très curieux. C’est carrément un trip d’acides. Et oui, tous les mercredis je la gardais, on était tous les deux, parce que comme je voyageais beaucoup, ma journée avec ma fille, c’était mon moment favori.  Sa mère travaillait et je lui racontais Alice. Et ça m’a donné envie d’écrire tout à coup, parce qu’elle s’interrogeait. Et elle interrogeait ce décalage de petite fille. Tu commandes un croque-monsieur au restaurant et elle croit qu’on va croquer un monsieur. Et comment lui dire après que j’ai menti à propos du père noël ? Ensuite, on rentre dans l’histoire de ces deux jeunes filles, Alice et June, qui se sont suicidées main dans la main.

R : J’ai parlé avec la maman d’une de ces jeunes filles, et qui m’a dit : « quand l’album est sorti, ça a continué à faire vivre ma fille ». Je suis toujours en contact avec elle et elle m’envoie des messages. 

N : Cette histoire est incroyable, moi j’étais parti quelque temps au japon, où là, j’avais rencontré des filles qui faisaient des mangas, ces filles-là étaient extrêmement trash. Ensuite, il y avait eu un taux de suicides effroyable de jeunes lycéens au Japon. 

R : C’est toujours le cas.

N : Maintenant c’est la Corée qui a pris le dessus. C’est-à-dire que là, c’est intransigeant, les mômes sont à l’école dix heures par jour… Cette épidémie de suicides m’a marqué. Entre ces deux jeunes filles qui se suicident, Alice et June, ma fille qui s’interroge… Je me disais, putain je suis en train de lui mentir sur le Père Noel, là, je mens à ma fille. Comment je vais m’en sortir ? 

V : Nicola tu dis : Alice et June, c’est comme une comédie musicale, je parle au féminin, je prends la place des filles.  

N : Je me suis mis dans la peau de deux filles. Je prends leur place. Je ne connais pas l’anorexie mais apparemment j’écris sur l’anorexie. J’ai reçu beaucoup de courriers de jeunes anorexiques : « tu écris exactement ce qu’on avait envie de ressentir ». Et là je me retrouve avec Duras, Duras elle a toujours écrit ce que je voulais lire. Ou Bowie, avec la musique. Le miracle continue malgré des faits divers dramatiques. Et j’ai toujours eu envie soit de réaliser un film, soit une comédie musicale autour d’Alice et June. Il faut que j’aie le temps de le faire, avant, avant… 

V : L’arrivée du Concert Tour Alice et June : les images virtuelles de petites filles qui tapent sur des tambours sur la chanson « Dunkerque ». Jamais je n’avais vu de visuel aussi fort : c’est hypnotique. 

N : Ce qui était étonnant sur la tournée Alice et June, c’est qu’on s’est retrouvés avec une multitude de jeunes filles qui s’habillaient en bleu et en rouge comme sur la pochette du disque. J’en ai revues plusieurs quelques années après, beaucoup sont devenues prof de philo. Cet album a marqué un public féminin parce que tout à coup, il parlait de toutes les mauvaises expériences des filles. C’est tellement dur d’être une fille.

V : Rafaëlle écrit : « Avec « Alice et June », Indochine revit des décennies après « l’Aventurier », la nécessité de se détacher d’un succès énorme, pour faire autre chose ensuite. Ils gardent ce qu’ils ont acquis et se renouvellent. 

C’est ça aussi, la puissance du groupe, c’est toujours se renouveler ». 

Vous sortez toujours de votre zone de confort. 

N : Toujours être un groupe qui débute. Pour chaque album, on recommence tout à zéro. Ça, c’est ce que j’ai inculqué à mes camarades : tout est à renouveler, rien n’est acquis. Quand le dernier concert d’une tournée se termine, je dis : « c’est fini ». « Non, vous n’allez peut-être plus jamais faire de concerts ». On repart à zéro. Des amateurs qui sont professionnels. On ne sait rien. J’ai connu la chute. On ne sait pas si ça peut remarcher, si on peut avoir le même succès. Après « Paradize », on ne se met pas à écrire 8 morceaux pour faire un album de 8 morceaux, on se met à écrire, 50, 60 morceaux, et pour chaque album, on fait environ 70 projets. Là, on a commencé à écrire le quatorzième album, on est déjà à 10 projets. Peut-être que sur ces 10 projets, je n’en garderai que deux, mais on va continuer, continuer, il faut se donner cette chance là. On a ce privilège d’être écouté. J’ai lu une interview de Quincy Jones, pour faire « Thriller » de Michael Jackson il a écrit 400 projets. Il reste 8 morceaux dans « Thriller ». Comme les esquisses d’un peintre.

V : On revient sur Hanoi, pour le 25e anniversaire du groupe, c’est un moment de grâce absolue.

N : Hanoi… quand on a commencé le groupe, dès qu’on a prononcé le mot Indochine, ça a été le bouclier et les missiles : non mais c’est un nom ridicule, c’est une défaite, ça ne marchera jamais, ça ne tiendra pas trois jours. Et en plus, par rapport à la guerre et les milliers de morts… Mais moi, c’est parce que j’adorais Marguerite Duras. Et de réussir 25 ans après, d’être accueillis par les autorités vietnamiennes, avoir un orchestre symphonique, l’opéra d’Hanoi, ça a été un des plus beaux moments du groupe. Et que Rafaëlle, troisième génération, voit ça, et je ne pouvais pas imaginer quand j’ai fait ça, que de jeunes enfants nous regardaient. 

R : Je te l’ai déjà dit. J’ai eu un coup de foudre. Alors que je suis très rationnelle, pour moi le coup de foudre n’existe pas. J’ai toujours besoin de connaitre et de comprendre. 

N : Jouer au Vietnam, qui est un pays qui a été massacré… parce que ce qu’il faut dire aussi, pourquoi ce nom « Indochine » en dehors de Marguerite Duras… Moi j’ai vécu toute ma jeunesse avec la guerre du Vietnam à la télévision. La jeunesse était contre cette guerre. L’envahisseur Américain, l’impérialisme, etc. C’est quand même le seul pays qui a gagné deux guerres, contre les français et contre les américains. Alors qu’ils nous reçoivent nous avec le nom « Indochine », la symbolique, de voir tout le parti communiste, tous les ambassadeurs qui sont venus, c’était un petit peu « les soirées de l’ambassadeur » comme les chocolats. (rires) Ambassadeur de Suisse, de Suède, de France et un public français qui étaient venus, et dans la rue des écrans géants avec retransmission du concert, c’était hallucinant. Donc, c’était une revanche pour la paix, tout à coup, je pense qu’on a remis tout le monde d’accord. C’était vraiment un beau moment. C’est là où l’ambassadeur de France m’a dit : « la francophonie ici c’est mort, on l’a perdue ». Il y a trois Mac Donald par jour qui s’installent. 

Les américains après avoir pourri ce pays (chanson Vietnam Glam) maintenant, ils le pourrissent économiquement. C’est la dure loi de cette vie. 

V : Ensuite, l’album « La République des Meteors ». Cet album prend forme à la Biennale de Venise quand tu es devant « Prenez soin de vous » de Sophie Calle. 

N : Oui, son amant la quitte par écrit et elle fait appel à 150 femmes de toutes professions pour commenter la lettre de rupture. Cette exposition m’a beaucoup marqué. Alors là, comme Rafaëlle, à ce moment-là, je suis en pleine séparation, c’était dur, l’absence, surtout quand on a des enfants. J’ai comparé les lettres de pères qui partaient à la guerre de 14-18, qui n’étaient pas sûrs de revenir, donc j’ai fait un parallèle avec tout ça. Little dolls… juste « Play Boy » qui était un peu ovni dans l’histoire, « Junior Song ». 

V : Et là, le Stade de France que vous préparez pendant deux ans. Vous avez loué le parc expo à Dijon pour recréer et répéter les mouvements que vous feriez sur la scène du stade de France. 

N : Comme les places ne sont pas chères, nous n’avons pas les moyens de louer le stade de France pendant 10 jours : on passe d’une scène de 12 mètres à une scène de 60 mètres… c’était une autre configuration, c’est un travail d’acharné qui est génial parce que là, je rentre des essais en Belgique de l’écran géant, qu’on a conçu pour la prochaine tournée, sur le Central Tour, qui débutera le 21 mai 2022 au Stade de France, il y aura 4 axes : nord, sud, est, ouest, donc là, pour les déplacements, ce sera encore une autre paire de manche, je vais bouger quatre fois plus. 

Comme un enfant qui veut partager son nouveau jouet, Nicola sort son smartphone et nous montre à Rafaëlle et moi, les premiers essais du Central Tour : 

N : Donc ça, c’est juste 20 % de l’écran. Le son sera à l’intérieur, on aura l’impression que c’est l’écran qui dévoile la musique. C’est assez incroyable et là, (il nous montre des écrans lumineux) ce sont les effets qu’on a commencé à tester. Et nous, on va être au milieu, en live, et on va jouer avec cette matière. C’est un nouveau procédé…

V : Chloé Delaume intervient souvent dans le livre, elle dit, à propos de toi : « il y a dans son sang des hélices de Peter Pan, c’est comme s’il avait passé un pacte bizarre, il a fait de sa vie une œuvre d’art, il est devenu un personnage de fiction pas seulement parce que c’est une icône mais à cause de ce côté Peter Pan ». 

N : Je ne sais pas quoi dire là-dessus, à part que j’ai beaucoup de chance. Je ne sais pas quoi dire du tout. Parce que moi, je me vois tous les jours vieillir… mais oui, il y a un côté survivant. 

V : Il y a aussi cette folie dont je t’ai parlé quand tu es arrivé, je pense que ça te porte. L’envie, les projets, la curiosité. 

N : C’est Mick Jagger qui dit : « faire du rock, c’est être un adolescent éternel ». 

V : Et puis, le groupe cherche toujours à aller plus loin.

N : Jusqu’à épuisement des forces. (rires)

V : Nicola, tu dis : « Je ne me pardonne jamais rien ». 

N : Oui c’est mon côté judéo-chrétien, mais les 20 dernières années ont été incroyables. 

V  : Je vous ai écrit à tous les deux hier soir. « Chers deux, il y a trois jours, je ne savais rien. C’était il y a trois jours et je ne savais vraiment rien. Je termine le livre à l’instant et je suis bouleversée. Puisqu’il parait que c’est comme ça qu’on dit ».

N : Tant mieux, parce que tous les autres bouquins sont d’une froideur journalistique. 

V : Nicola, tu dis : Je me rends compte que j’ai eu mille vies et je vois vieillir les gens autour de moi, je ne réfléchis plus comme un enfant. 

Evidemment, non. 

N : Et ça c’est ce qui me terrifie de plus en plus, c’est-à-dire que je suis d’une génération où je vois les gens disparaitre les uns derrière les autres. J’ai peur de ça, mais c’est à cause de mes enfants. J’ai peur de les laisser, j’ai peur de leur tristesse. 

V : Tu dis aussi : le temps qui passe m’obsède. Le fait que je sois un survivant, aussi. Mon espérance de vie est beaucoup plus limitée que celles des gens qui composent une partie du public désormais. 

N : Oui je travaille là-dessus. Depuis 4 ou 5 ans, c’est à ce moment que je me suis rendu compte que je ne serai pas immortel et que… c’est horrible parce que quand tu as 62 ans, dans 10 ans tu en auras 72… Notre espérance de vie est limitée dans le temps. Enfin c’est chiant, la fin est chiante. 

V : Rafaelle, tu écris : Cette troisième période (celle que le groupe vit à présent) est véritablement celle où Nicola prend possession de son corps mature. Il déconstruit sa réalité, son tragique, pour en faire quelque chose d’onirique, ou le transposer dans une situation ancienne – la guerre fait appel à la sienne.  

R : Encore une fois c’est mon interprétation mais, pour moi ça commence par la « République des Meteors » où Nicola ne passe plus par des voix nécessairement de filles ou d’alter égo – là c’est lui, et puis il assume sa séparation, son histoire, il ne projette plus une autre histoire que la sienne, et pour moi c’est aussi l’apparition de corps vraiment adultes. Ce n’est plus nécessairement illustré par de jeunes ados, par des jeunes filles, des créatures presque éthérées. Dans le clip du « Lac » par exemple, c’est la première fois qu’on voit un couple de personnes âgées, ce qui n’est jamais apparu dans Indochine avant. Et à partir de là, Nicola dit, c’est moi qui chante, c’est moi qui écris. Alors que jusqu’à « Alice et June » ce n’est pas toi qui chantes, c’est Alice et June. 

N : « Black City Parade », c’est la ville, c’est neutre. C’est un tour d’horizon de chaque ville. C’est un coté très architectural de chaque population, de chaque capitale, les séparations entre les villes, de chaque génération, de chaque civilisation. Mais bon. L’album 13, je sentais qu’il allait se passer quelque chose autour de MeToo. Bien avant parce que j’avais vu l’exposition d’Henry Darger. Erwin Olaf a fait la photo de treize jeunes filles de dix ans parce qu’elles représentent le futur. Et maintenant, c’est à elles, elles vont prendre leur revanche. C’est comme les deux garçons, les deux adolescents sur les pochettes des « Singles Collections » (Best-Of Indochine de 1981 à 2001 / 2001 à 2021). À travers ces portraits, je voulais montrer à la fois qu’on n’était pas dupes, qu’on voulait y aller, mais qu’on crevait de peur à l’intérieur. Le prochain album risque d’être différent. 

V : Rafaëlle, dans « Memoria », tu dis que Nicola creuse dans les regrets et les remords d’un chanteur noyé dans le passé trouble de ses sentiments amoureux. 

R : C’est Nicola qui a prononcé ces mots, je n’ai fait que les retranscrire.

V : Dans le clip, tu apparais « en Nicola ». « Mémoria » est une chanson que tu affectionnes particulièrement. 

N : Elle commence par « j’arrive pas très fier de moi ». Je crois qu’il n’y a pas beaucoup de mecs qui disent ça. 

R : C’est vrai, mais c’est parce que tu es une fille en même temps

N : C’est parce que je suis une fille… voilà c’est ça. 

V : C’est incroyable la scénographie du poing qui cogne une vitre face au public, en ouverture de concert. À un moment donné c’est quelque chose de fou et qui n’existe nulle par ailleurs, cette symbiose parfaite entre la musique, le son, les chansons, les images, le public. Ça devient spectaculaire. Unique et propre à Indochine. 

R : c’est ce que j’ai découvert en fouillant dans les archives, c’est que tout était pensé, dessiné, réfléchi, c’est comme un opéra où tu réfléchis aux costumes, aux chansons, aux décors, aux lumières, à l’entrée sur scène, à la bande son. 

N : Nous sommes un peu comme cette génération de réalisateurs qui font tout. Ils écrivent le film. Ils le maitrisent de bout en bout. Ils font le cadre. Ils font le stylisme. Ils font le choix des acteurs. Ils font le choix de la musique. Du montage. De l’affiche. Grâce au public, j’ai ce pouvoir de dire : « je veux que ça sorte tel jour ». Par exemple Hanoi, la maison de disque voulait une sortie d’album à Noël. Pour être noyé dans la masse des disques ? J’ai dit non. Ce n’est pas un album de Noël, ce n’est pas un album festif. Vous le sortez en janvier et vous verrez que ça va cartonner. Il faut avoir la maitrise de tout, mais la maitrise de tout en étant en conscience générale. 

V : Nicola, pourquoi avoir écrit la chanson « Kill Nico » ? Je n’ai pas compris. 

N : Kill Nico ? C’est venu parce qu’à l’intérieur de ma petite entreprise, je suis un peu dans le collimateur. On ne me dit pas la vérité. Il y a un côté hypocrite quand on ne dit plus jamais rien devant toi. Et moi, je ne veux pas avoir de rapport comme ça. Qui va me dire vraiment la vérité ? À qui je vais pouvoir donner ma confiance ? Et c’est pour ça qu’on reste de plus en plus seul ; parce que quand quelqu’un te fait des compliments, personne n’ose plus te dire : c’est mauvais. Bref, je suis dans le collimateur, c’est suspect d’avoir du succès. Et moi j’entends certaines choses parce que j’ai une oreille souterraine. On les connait ceux qui sont extrêmement jaloux du succès.

V : Xavier Dolan réalise le clip de « College boy », terrible et magnifique. Il est censuré.

N : Censuré et tellement d’actualité

V : La semaine dernière, on a encore évoqué le harcèlement sur les enfants nés en 2010 qui arrivent en sixième.

N : C’est n’importe quoi. Je m’investis beaucoup contre le harcèlement, je suis parrain de plusieurs associations. J’ai rencontré le petit Jonathan, qui s’est immolé parce qu’il n’en pouvait plus. J’ai été à la Voix du Nord, le parrain de toute une campagne sur le harcèlement. Pour en revenir à Xavier Dolan, j’avais adoré son premier film : « J’ai tué ma mère ». Et je reçois un jour une lettre de lui : j’aimerais utiliser « 3e sexe ». Je réponds : « mais bien sûr, pour moi tu es le meilleur de ta génération ». Il prend « 3e sexe », et je lui dis : « tu ne veux pas réaliser un clip » ? Il n’avait jamais réalisé de clip. C’était avant Mommy et avant les gros succès. Il réalise « College boy » et là, c’est Hiroshima. J’avais lu le scénario… j’ai tout de suite pensé : ce clip va cannibaliser le morceau. Mais ça va faire du bien, justement. Ça va faire du bien parce que ça va concerner tout le monde. Et là, censure du CSA, alors que quand on regarde « les marseillais à Dubaï », enfin bref, la décence, l’indécence, la qualité du film est extraordinaire, les acteurs, Antoine est incroyable. Il y a encore deux ans, le proviseur du lycée de ma fille m’a demandé d’intervenir pour des secondes et des terminales, et on leur projette : « College Boy ». Ils étaient donc de la génération 2003, 2004, et certains d’entre eux n’avaient jamais vu le clip et ils se mettent à pleurer. Que des filles ou des garçons mal dans leur peau se mettent à pleurer et me disent : « maintenant, je peux aller à l’école la tête haute ».  Ça a été d’une violence et d’une vérité extraordinaires.

À chaque album, une chanson appartient à quelqu’un. 

V : Comme celles de l’album 13, le dernier. Un immense succès.

N : Après, sur le dernier album 13 c’est : on n’est pas dupes, les filles reprennent le pouvoir, les filles ne sont jamais coupables, et MeeToo qui est arrivé… Moi tu sais, j’habite à Versailles. Les rues, c’était plein de manif pour tous, que des familles de 15, 20 enfants qui allaient manifester contre le fait que deux hommes ou deux femmes se marient civilement. Pas religieux. Avec des prêtres en robe. Mais qui sont ces gens-là ? Et j’ai écrit cette intolérance-là. C’est venu avec ça, Christine Boutin, tout ce côté… c’est réellement une réaction autour de ça. Comme « Un été français », dans l’album 13, j’ai réagi à la candidature et la peut-être élection de Marine Le Pen, je me suis mis dans la peau d’un mec qui a une correspondante anglaise et qui lui dit : tu vas voir, ça va être un peu dur, je suis désolée, l’été français, pardonne-moi… On donne une place à l’intolérance, énorme : Zemmour, on lui laisse une place énorme. C’est ce que j’ai toujours dit : Les démocraties ne se défendent pas assez de ces gens qui sont intolérants. 

V : J’ai découvert le concept des écrans en forme de serpent qui entoure le public.

N : Ah ! Tu ne l’avais pas vu ! Ça a été chaud à fabriquer ! Les bâtons dans les roues qu’on m’a mis. Si tu écoutes les producteurs, c’est toujours impossible. 

V : Nicola, tu le dis souvent dans le livre : le nombre de fois où on m’a dit que rien ne serait possible…

N : Ce n’est pas possible d’accrocher un truc au-dessus du public, ce n’est pas possible… Et bien on va le faire. Oui c’est horrible parce que quand tu es jeune et naïf, tu les crois. Pourquoi, au contraire, on ne pousse pas les gens à se réaliser ? C’est comme Rafaëlle, elle n’avait jamais écrit de livre, je lui donne cette possibilité-là. 

V : Oui, faire confiance. 

N : Au début, tout le monde a eu peur :  c’est une fille et elle a 20 ans… on décourage, on essaie de décourager. 

V : « J’arrive toujours à voir les choses qui sortent de ma tête c’est un luxe » C’est toi qui le dis… Ludwig Dahlberg (nouveau batteur du groupe) affirme : Nicola est celui qui pousse toujours à essayer de nouvelles choses. Il dit aussi : Un soir j’ai 42 de fièvre et je joue. Si j’avais été le chanteur, ç’aurait été impossible. Chanter devant 18 000 personnes qui connaissent les paroles par cœur… Tu sors de ça et tu rejoins ta chambre d’hôtel trois heures plus tard et tu te retrouves tout seul… 

Nicola, tu as sans cesse ce questionnement :  après deux stades, la tournée, est-ce que ça vaut encore le coup de continuer ? Qu’est qu’on a à dire ? 

N : C’est permanent. 

V : Rafaëlle, C’est toi qui as choisi ces repères chronologiques dans le livre ?

R : Oui, c’est moi. J’ai choisi des faits que je connaissais. 

V : C’est génial ce que tu as fait, tes choix sont très pertinents.

N : Moi aussi je trouve ça génial. Ce qui est fou, c’est qu’elle est de la génération 2007, quand je lui ai donné mes archives, il y avait des diapositives, elle ne savait pas ce que c’était une diapo ! C’est comme ma fille qui me dit : « de ton temps c’était en noir et blanc la télé » ? 

Je réponds : « oui mais aussi en couleur. J’ai même connu le minitel ». 

V : Même si vos albums plus confidentiels sont forts pour certains, magnifiques pour d’autres, pour préparer cet entretien, j’ai (re)découvert certaines chansons, des clips et des concerts, et ça m’a donné envie de dire au monde entier : (re)découvrez Indochine. Il y a cependant trois albums qui ont marqué l’histoire du groupe : « 3 », « Paradize », « 13 ».  

N :  Les chiffres nous ont toujours porté chance. Après « Black City Parade », je veux faire l’album le mieux qu’on puisse faire, je ne veux pas faire l’album de plus. Donc ce sera un album différent. 

V : C’est l’album « 13 ». Au début, une question vous hante : tous vos héros sont morts. Comment être inspiré en assistant à la décomposition du monde ? 

N : On a mis trois ans à le faire. Je ne pensais pas du tout qu’il allait cartonner autant. En plus, « La vie est belle », « Un été français » « Station 13 »…

V : En 2020, le morceau qui est le plus écouté, qui passe le plus à la radio est « nos célébrations ».

N : Je l’ai écrite à Londres. Je l’ai fait écouter à Rafaëlle. Je voulais savoir ce qu’elle en pensait. Parce que c’est dur d’écrire une seule chanson qui va être sur une compilation avec 50 single. 

R : J’étais à Bruxelles avec vous quand vous l’avez enregistrée, je t’ai dit immédiatement : « c’est un tube ». Et toi, tu m’as répondu : « non, je ne pense pas ». 

V : Rafaëlle, tu écris à propos de l’album « 13 » : « 15 morceaux, tous bien trop longs pour les formats standard des radios, une jolie manière de dire que définitivement, ils font absolument ce qu’ils veulent ». 

Nicola, vous êtes libres. 

N : On fait ce qu’on veut, quand on veut. Mais toujours en respectant un public qui nous fait vivre notre passion. Et ça même si c’est difficile, il peut il y avoir des fans qui peuvent être de droite, d’extrême droite, on ne choisit pas. 

V : Je doute que vous ayez beaucoup de fans d’extrême droite.

N : Oui, si on est homophobes, intolérants, racistes, on ne peut pas écouter Indochine. 

V : Qu’est-ce que tu appelles les conflits sonores ? 

N : La musique évolue tellement, le conflit sonore c’est ce qui nous a fait exister. On a nos références, on emmagasine et on fait notre propre musique avec ça. C’est ce que dit Dimitri dans le livre, on n’a pas copié, entre l’électro, la pop, le rock, le classique. C’est ce que j’ai voulu faire avec l’album 13. C’est-à-dire faire entrer toutes mes influences. La preuve c’est que le morceau « Station 13 » est très électro. Pourtant l’électro c’est au départ la base de la musique new-wave. Quand on a commencé et qu’on écoutait Dépêche Mode, c’était de l’électro. Ce sont les mêmes instruments qu’aujourd’hui, les DJ électro rêveraient de nous acheter nos vieux synthés parce qu’on avait les premières boites à rythme. Alors que quand on a commencé, les boites à rythme, tu avais tout le milieu du rock qui se foutait de nous : « ils n’ont pas de batteur, c’est nul…». 

V : L’idée de la nouvelle que tu as écrite, le vieil homme et les étoiles, est très belle. 

N : Je ne l’ai pas finie encore… mais je parle du « vieil homme et des étoiles » dans le livre ? 

R : Oui. Je t’ai obligé à en parler. 

N : Un monsieur qui habite dans une sorte d’observatoire… Si je peux je ferai un premier court métrage. 

 

V : Je ne connaissais pas cet « anti carré or ». La zone 13 s’obtient au moment du scan du billet en arrivant au concert. 

N : Aujourd’hui quand tu fais un concert, tout le monde veut être vip. 99 % des artistes font payer ça. Et les gens sont prêts à payer 2000 € pour rentrer avant tout le monde, s’assoir avant tout le monde, être devant. Pour moi, un concert, ce n’est pas le Titanic, c’est la liberté. Donc nous, on a fait un carré or gratuit. C’est-à-dire que sur le billet tu es tiré au sort pour te retrouver devant, au plus près. Parce que ça m’a toujours écœuré, dans un concert de rock, la musique est un partage, et tout à coup les plus riches sont privilégiés ? C’est comme ça que l’idée du Central Tour est arrivé : où qu’on soit placé, on aura tous la même vision. Ce se fera vraiment dans la démocratie… 21 mai au stade de France… première date. Donc, à partir de janvier on sera sur le tarmac. 21 mai c’est bientôt. C’est dans 250 jours. 

R : Tu as un compteur ?

N : Et là, ça passe ou ça casse. Enfin on se sera bien préparés. 95000 personnes, ce sont de hautes capacités. Et tout est complet. Et après, après… 

V : Vous avez déjà écrit le prochain album, en fait. 

N : Oui. Et l’étape des 40 ans aura duré 41 ans. Le livre existe. Les concerts existent.

V : Dans le livre, Kiddy smile dit : « je pense que la sensibilité de Nicola pour la communauté LGBT+ vient du fait qu’il s’est toujours senti comme quelqu’un de mis à l’écart, ne serait-ce que par son apparence, et ça lui donne envie de soutenir ceux qui sont mis à l’écart ».  

N : Il n’a pas tort. Quand on était en pension, on était dans le nord de la France, et nous étions « les français qui vivions à Bruxelles », les nordistes ne nous aimaient pas. Quand on était à l’école européenne à Bruxelles, on était dans des classes franco-allemandes, c’était le but de l’Europe, de « réconcilier ». Alors que c’était baston générale entre les allemands et les français. Quand on arrive à Paris, on est à part, on arrive en banlieue parisienne, trois jeunes garçons, et on était « les belges ». Et puis après l’apparence a changé, et puis Indochine, on a été les premiers à faire ça, on a toujours été la risée, mais si nous sommes appréciés par beaucoup, on a toujours été ou « les drogués », ou « les pédés ». Alors maintenant, tout va bien, l’autre jour on était dans le train, le contrôleur a passé « Nos Célébrations » dans tous les wagons. Là on fait l’unanimité, mais c’est bien de ne pas la faire complètement. 

V : J’ai été bouleversée par le témoignage de Lou, la fille de Stéphane. J’ignorais qu’elle avait créé un groupe et qu’elle était musicienne. Elle a joué sur scène pour tes 60 ans à Lille. 

N : Oui, Lou n’a connu son père que 9 ans… 

V : Nicola, tu dis : je ne suis pas dans le bonheur absolu, mais je suis libre

N : Ah oui, c’est vrai que j’ai dit ça…

V : Oui, tu as dit ça. Tu as dit aussi : ne garder que le beau

N : Ne garder que le beau, oui, essayer. 


> Indochine, Livre/biographie officielle des 40 ans, en savoir plus

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